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2018-04-11
Les néonicotinoïdes représentent-ils un risque pour la santé des abeilles?

Les néonicotinoïdes représentent-ils un risque pour la santé des abeilles?

Durant les derniers mois, la problématique des néonicotinoïdes est revenue à maintes reprises dans les médias. Il y a présentement toute une saga autour des insecticides toxiques qui auraient un impact sur la mortalité grandissante des abeilles, mais aussi des conséquences néfastes sur différents invertébrés. Plusieurs associations et organismes pour l'environnement s'opposent fermement à l'utilisation de trois néonicotinoïdes : la clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame, des substances neurotoxiques qui s'attaquent au système nerveux des insectes. Lorsqu'il est question d'assurer la sauvegarde de l'environnement et de la biodiversité, il est fondamental d'aborder les enjeux nocifs potentiels par un principe de précaution, c'est-à-dire que si nous sommes conscients du risque existant de nocivité d'un produit pour la santé de la nature ou de l'humain, ne devrions-nous pas nous abstenir d'utiliser le produit en question? La rubrique de cette semaine a pour objectif de faire un petit tour d'horizon des néonicotinoïdes et de leurs effets sur les abeilles, ces pollinisateurs essentiels à la sécurité alimentaire humaine.

Il est important de rappeler que récemment, le gouvernement du Québec a annoncé que les agriculteurs devraient dorénavant obtenir une prescription auprès d'un agronome afin de pouvoir utiliser les néonicotinoïdes les plus populaires dans leurs champs. À noter toutefois qu'une large proportion d'agronomes du Québec est liée au commerce des pesticides. Nous pouvons ainsi nous questionner sur l'existence d'un « conflit d'intérêt ». Dans les mois et les années qui viennent, nous serons amenés à constater si la prescription de néonicotinoïdes devient la norme ; si c'est le cas, une remise en cause des décisions prises par les autorités s'imposera. Un appel à la modération des néonicotinoïdes a été demandé par le gouvernement, il ne s'agit donc pas d'une interdiction, ce qui peut être alarmant lorsque l'on se familiarise avec les effets des insecticides en question et leur présence croissante dans notre alimentation.

Dans son essai La crise des abeilles paru en 2017, le journaliste scientifique Jean-Pierre Rogel s'inquiète des menaces qui pèsent sur la santé des abeilles, ces insectes essentiels à l'alimentation humaine. N'oublions pas que les différentes espèces d'abeilles contribuent à la survie et à l'évolution de plus de 80% des espèces végétales. Entre 60% et 90% des plantes sauvages ont besoin d'insectes pollinisateurs pour se reproduire. D'ailleurs, la valeur du service rendu par la pollinisation dans le monde annuellement est estimée à 265 milliards de dollars. Les abeilles représentent, en quelque sorte, la clé de voûte de notre sécurité alimentaire, et l'humain leur rend finalement bien mal le service qu'elles nous offrent! Depuis plus d'une dizaine d'années, ces insectes dotés de grandes aptitudes mémorielles et communicationnelles, et d'une grande capacité d'apprentissage meurent en masse. C'est entre 20% et 25% des abeilles qui disparaissent chaque année. Dans son livre, Rogel explique la cause de mortalité des abeilles par le transport par route (déménagements fréquents des ruchers), la présence de parasites (acarien Varroa et champignon Nosema), mais surtout par l'usage massif des néonicotinoïdes dans les cultures de maïs, de soya et de colza. Ces insecticides invasifs engendrent une perte d'orientation chez l'abeille, mais aussi une perte de ses fonctions olfactives, ce qui la mène, in fine, à sa mort. En tant que consommateur écoresponsable, nous devons être conscients du lobbying très persuasif de l'industrie des pesticides qui travaillent de pair avec l'agriculture intensive. Les lobbies nuisent fortement à une prise de décision juste et éclairée de la situation environnementale actuelle. De nombreuses organisations d'agriculteurs critiquent avec amertume la décision des autorités de restreindre l'utilisation des néonicotinoïdes pour des raisons essentiellement financières. Mettre en péril la biodiversité pour des raisons financières, est-ce légitime ou même acceptable? Non, en aucun cas. D'ailleurs, la semaine dernière, l'Agence européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) confirmait le risque pour les abeilles des trois néonicotinoïdes mentionnés précédemment, ce qui suscite la foudre de deux géants de l'industrie des pesticides, l'allemand Bayer et le suisse Syngenta.

Les consommateurs se retrouvent, dans le contexte des néonicotinoïdes, face à un choix de société : choisir la santé et l'environnement (long terme) ou choisir la fructification de l'économie (court terme). Il y a un peu moins de six mois, une étude dans la revue Science rapportait qu'à l'échelle mondiale, les néonicotinoïdes avaient été retrouvés dans 75% des échantillons de miel analysés par une équipe de recherche suisse. La même étude révélait aussi que c'est en Amérique du Nord que la proportion de miel contaminé est la plus élevée, une proportion de pas moins de 86%! Les seuils de contamination autorisés pour la santé humaine sont néanmoins respectés, mais nous pouvons tout de même nous inquiéter de savoir que la plus grande part de notre alimentation est contaminée. L'étude de la revue Science s'est interrogée sur la problématique précise des miels contaminés, mais ce « cocktail » de pesticides est aussi repérable dans les cours d'eau (100% des cours d'eau en milieu agricole échantillonnés par la MDDELCC). Une remise en question de nos choix éthiques et écologiques est donc cruciale.

Au Canada, malgré le taux de mortalité des abeilles très élevé, le nombre de colonies d'abeilles domestiques n'a pas réellement connu de diminution, mais attention, ce n'est pas pour autant signe que les abeilles domestiques se portent bien; il s'agit surtout des apiculteurs qui redoublent d'effort afin de maintenir leurs ruchers. La situation est donc beaucoup plus préoccupante du côté des pollinisateurs sauvages qui sont plus difficiles à surveiller. D'autres facteurs peuvent expliquer le déclin des pollinisateurs sauvages, mais il n'en demeure pas moins que la cause la plus aisément évitable est l'utilisation des néonicotinoïdes. La rapporteuse spéciale sur le droit à l'alimentation de l'ONU souligne que « l'affirmation de l'industrie agrochimique selon laquelle les pesticides sont nécessaires pour assurer la sécurité alimentaire est aussi inexacte que dangereusement fallacieuse. » Dans son essai sur les « sentinelles de l'environnement », Rogel soutient que « bien que nous soyons biologiquement très différents des abeilles, nous sommes semblables sur le plan écologique : nous vivons dans les mêmes écosystèmes, nos besoins alimentaires fondamentaux et notre santé en dépendent. En mettant les abeilles à l'abri des pesticides nocifs, nous améliorons notre santé et la qualité de notre environnement. » Les dires de Rogel sont tout à fait justes. Notre subsistance est intrinsèquement liée à celle des abeilles, alors pourquoi les laisser tomber? Il est plus que temps de prendre conscience de l'importance de maintenir les écosystèmes en bonne santé pour assurer, à la fois, la santé humaine, mais également la santé de la biodiversité qui participe activement à notre alimentation.


Stéphanie St-Pierre

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